Le téléphone pleure

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Il y a des trucs dans la vie qui ne m’arrivent pas. Trouver vingt balles par terre, arriver à la bourre à l’aéroport et être quand même autorisée à monter dans l’avion, retrouver cette putain de deuxième chaussette ou tomber sur la file qui avance au Franprix.

Non, moi je suis plutôt du style à être coincée dans un ascenseur juste avant l’entretien de ma vie ou à féliciter une nana un peu grosse alors qu’elle n’est jamais tombée enceinte. Voilà, ce genre de fille, c’est moi.

 Alors, quand pour la millième fois de l’année, je perds mon téléphone, je ne suis même plus dégoûtée. Non, franchement, ça ne me fait rien. Mes notes, mes numéros, plus rien à foutre. Je devrais juste avoir le droit à une ligne directe chez Martin Bouygues et des IPhone gratuits à vie, c’est tout. En rentrant chez moi, j’appelle quand même sur mon portable, en sachant pertinemment que personne ne répondra puisque, une fois encore, ces choses-là ne m’arrivent pas.

 – « Allo »

– « Allo !?! Oui, bonsoir, j’ai perdu mon tél… »

– « Oui, je suis monté dans le taxi juste après vous et je l’ai trouvé sur la banquette arrière. »

– « Ok, génial ! On peut se retrouver? »

– « Il est 4 heures du matin. »

– « Ah oui, déjà ?! » (Et merde, j’en connais une qui va être encore très performante au boulot).

– « Passez à mon bureau quand vous voulez, mais je capte mal, envoyez-moi un message sur Facebook avant. Vous avez Facebook ? »

   – C’est une vraie question que tu me poses sombre inconnu ??, non, j’ai un bip bop, le Minitel et je me tâte pour acheter un lecteur dvd –

– « Oui. »

– « Parfait, je m’appelle Matthieu Legrand. J’attends de vos nouvelles. Bonne nuit. »

Deux secondes plus tard, je suis sur Facebook, l’outil indispensable pour tous les ivrognes du monde. C’est en quelque sorte le dernier lien social qui reste à l’alcoolique quand son portable s’est fait la malle.

Et là, je vois le Matthieu Legrand beau gosse à la plage, beau gosse à la maison, beau gosse dans les rizières, beau gosse en train de boire des coups, beau gosse, quoi. Matthieu Legrand est aussi patron d’une boîte de presse. Ok, Matthieu Legrand est mon futur mari.

Le lendemain matin, je lui envoie un message court et efficace. Il me répond dans la minute : parfait pour 18 heures, je monte dans son bureau direct et on ira boire un verre si j’en ai envie. Soyons clair, un trentenaire sympa, beau gosse, patron d’une boîte, qui retrouve mon portable et m’invite à boire un verre, ça n’existe pas dans mon monde. Ça arrive peut-être chez les bombasses à gros seins, ou dans les sagas de l’après-midi sur M6 (oui, j’ai une culture télévisuelle très développée) mais pas dans le mien.

18 heures, j’arrive dans ses bureaux, prête à tomber amoureuse. Je suis tout de suite dans mon élément : ça grouille d’actus, de dépêches qui tombent, de vidéos, de photos, de musiques, de vannes, de salariés beaux gosses, de capsules Nespresso. On m’indique le bureau de « Matt » et ça y est, me voilà face à lui. Au téléphone, il me fait signe de m’asseoir et me lance un sourire de diable.

-Ça pourrait être une super rencontre à raconter à nos enfants (en remplaçant « maman avait trois grammes dans le sang quand elle a perdu son téléphone » par « qu’est ce qu’elle est tête en l’air, maman »)-

Il raccroche. Et se met à parler. Je ne sais plus ce qu’il me dit, je m’en fous, il est beau comme un Dieu. Il me tend mon portable, qu’il a pris la peine de recharger et lance : « Bon, il est grand temps d’aller boire une mauresque en fumant des Marlboro light ».

– Voilà, ma puce, c’est à ce moment-là que je suis tombée amoureuse de ton père-

Mais il reste assis, il ne bouge pas. Il est accroché à sa chaise ? Pourquoi il ne se lève pas ? Il a changé d’avis en une seconde ? Non, il n’a pas changé d’avis. Il est debout. Sur des jambes de 40 centimètres. A la frontière du très petit et du minuscule. Pas tout à fait du nanisme, mais pas loin. Quelques millimètres en moins et il était recruté direct pour Fort Boyard. Je suis scotchée : je n’ai jamais vu de jambes aussi courtes. De toutes petites pattes épaisses et courtes, des pattes de canard nain.

-Et c’est là, ma puce, que j’ai décidé que ce ne serait pas lui ton père-

J’essaie de me reprendre. Il faut que je me concentre sur autre chose. Mais tout ce que je vois, c’est que je lui prends quatre têtes. On va boire un verre. J’essaie de donner la pareille mais dans ma tête, c’est le dictionnaire des synonymes. Liliputien. Miniature. Infinitésimal. Microscopique. Etriqué. Minime. Archi petit. Insignifiant. Je ne me souviens plus que de ça. Infime. Imperceptible. Court. Riquiqui.

 

« Ce qui est petit est mignon », c’était de Passe-partout, en fait.