Le thon, la purge et le saoulant

Inconnus

Il y a quelques années, on est parties en vacances Raphaëlle, Manue, Léa et moi. On avait loué une villa incroyable pour le prix de quatre transats à la Voile rouge, les Russes en moins. Un peu plus près du paradis, on comptait bien en profiter. Pas qu’on se freine à Paris, hein, mais le surfeur Australien rue Montorgueil, c’est plutôt rare comme denrée.

Julien, à l’époque, le mec de Raphaëlle, était venu nous rejoindre quelques jours. Dans notre villa à cent balles la semaine, on vivait comme une bande de mecs graveleux et il ne semblait pas dépaysé. C’était même le premier à nous pousser à faire des conneries, si tant est qu’on ait besoin de quelqu’un pour faire de la merde.

Un soir, énorme fête sur la plage. Plein de types qui se croient dans Point Break. Et nous, habillées comme des Américaines du Nevada, à boire de la binouze pieds nus et danser sur du David Guetta auto-tuné. Un de ces soirs où on se renie, en gros.

Et puis, vient le moment du pari con. Du pari ivres mortes. Julien est le premier à nous y encourager, et quand un mec rentre dans nos cap ou pas cap débiles, on a plus le choix que d’y aller, têtes baissées. Le défi de la nuit : rentrer avec un mec chacune. Celle qui perd se tape le concert des Enfoirés. -niveau pression, on est pas mal-

Toujours en pôle position de la galoche, Manue jette son dévolu sur un Australien qui s’avère être en fait un Autrichien. Parce que « Austrian » bourrée, ça sonne plus planche de surf que Flammekueche. Pari quasi gagné, le mec est chaud pour rentrer avec elle. A mon tour. Y a un mec pas mal là-bas, je me lance. C’est un Anglais mignon, qui parle comme Hugh Grant. Il est clairement plus Hugh que Grant, mais les yeux fermés, ça devrait le faire. Léa a la pression. Elle sent que Garou et ses potes ne sont plus très loin. Elle fonce droit sur un Brésilien sexy, avec des tatouages partout. Le mec en jette. Pour une fois, elle trouve qu’il n’est pas si con ce pari.

Nos trouvailles du monde sous le bras, on décide de rentrer à la villa : l’heure est venue d’honorer notre pacte. Fallait nous voir avec nos toys boys cuits jusqu’à l’os, on se prenait pour des taulières. Si seulement, on s’était arrêtées là.

 




Lendemain matin. Ce fameux matin où tu dégustes. Où là, effectivement, tu te rends compte que la terre tourne. Que ta tête, ton corps, ton lit tournent.

 

Le Brésilien se lève. Hier, il ressemblait à ça :

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Ce matin, le type est comme ça :

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Voilà, les ravages de l’alcool. Léa va gerber.

– « Non, mais sérieux, il était canon hier, non ? Qu’est-ce qui s’est passé? »

                        – « Une nuit, Léa… « .

 

Un bref salut de la main, et la muse de Picasso se barre aussitôt. Ça tombe bien, j’ai l’estomac fragile. Julien et Raphaëlle se lèvent à leurs tours. Ils sont à bout. Leur chambre est collée à celle de Manue. Et l’Autrichien a jacté toute la nuit. Tout en se la tapant, le mec n’a pas fermé sa gueule une demi-seconde. Il lui a expliqué comment « taking la wave » sans s’arrêter. En ALLEMAND.

« Alors la planche, tu la positionnes comme ça, tu montes à la parallèle dessus, tu t’accroupis et tu te relèves aussitôt. Là, tu chopes la vague à 45 degrés. Mais fais gaffe au rouleau, la mer est très agitée ici… « .

– Je sais pas pour la mer, mais j’en connais qui sont chauds pour s’agiter sur toi, jeune Tyrolien –

 Manue débarque. L’Autrichien la suit comme un clébard.

« C’est officiel, les gars, j’ai baisé avec une planche de surf ! »

Tout le monde se marre. Lui ne comprend rien. Mais il tient à nous expliquer à quelle heure prendre la meilleure vague. D’ailleurs, il doit y aller, c’est dans dix minutes. Il nous propose de venir avec lui le lendemain, c’est hyper beau le lever de soleil à 5h30. Raphaëlle est à deux doigts de l’immoler par le feu. « Ok, tu prends ta planche, ta vague, ton crépuscule et tu dégages ! ». Il ne comprend toujours pas, mais il sourit comme un idiot. Il va aller surfer, il est heureux l’Autrichien.

C’est mon tour. L’Anglais sort. Pas de mauvaises surprises. Jusqu’à ce qu’il arrive plus près de moi. Le mec me galoche. On n’embrasse pas un plan d’une nuit avec une haleine de poney. On n’embrasse pas tout court, d’ailleurs. Il s’installe à la table du petit déj’ et s’enfile des pancakes au sirop d’érable. On le regarde tous l’air de dire « Qu’est-ce que tu fous encore là, toi ? » mais ça n’a pas l’air de le déranger. Non, vraiment il ne voit pas le problème, il trouve ça sympa le petit-déjeuner familial.

Avachi torse nu, le mec s’empiffre comme un porc et laisse, à nos yeux ébahis, le spectacle d’un point blanc énorme rempli de pus. Je lui suggère de mettre un tee-shirt, il n’en voit pas l’intérêt avec cette chaleur. Je lui suggère alors de se casser mais il plongerait bien une tête dans la piscine, en amoureux. Je lui explique que nous ne sommes que des fucking friends for ONE night. Il me dit qu’il aimerait bien avoir mon numéro.

J’hésite à donner le numéro de Raphaëlle, mais je crois que c’est moi qu’elle va immoler par le feu, sinon.

Le plus Hugh que Grant finit par se barrer. Mais pas avant de m’avoir laissé son nom, son numéro, l’adresse de son hôtel, le numéro de sa chambre, le nom de la plage où il va et au cas où, le resto dans lequel il a l’habitude de dîner.

 

Alors, oui, on a été cap. Oui, on a rempli notre pari. Oui, on a échappé aux Enfoirés.

Mais putain, qu’est-ce qu’on a pris cher.